Dr. François Jacques Saucier (1961-2008)

FRANÇOIS JACQUES SAUCIER

Deuxième d'une famille de trois enfants, François J. Saucier naquit à Drummondville, QC le 5 juin 1961, mais n'y vécut que quelques mois. Après un séjour à Bathurst au Nouveau-Brunswick puis à St-Jean-sur-Richelieu au Québec, la famille s'établit finalement à Laval à l'été 1966. Enfant, il était déjà un garçon intense et aventureux, revenant souvent à la maison avec une blessure à la main, au genou ou au visage. Après ses études primaires à l'école Léon-Guilbault à Laval, il a fréquenté l'école secondaire Le Grand, puis le collège Stanislas à Outremont (système français). Son passage à cette école eut un impact bénéfique sur son écriture. Mais son esprit libre et son besoin d'indépendance s'accommodaient mal de ce cadre rigoureux, et il a terminé son secondaire à l'école Mont-de-Lasalle à Laval. Par la suite il est passé au CEGEP Ahuntsic, où il étudia avec plaisir et facilité la physique et les mathématiques. Originellement il pensait faire des études universitaires en architecture du paysage.

Mais, à la fin de ses études collégiales, apercevant un jour une affiche sur fond de coucher de soleil faisant la promotion des études à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR), il eut envie des grands espaces et il décida d'aller y faire un baccalauréat en physique, qu'il entama à l'automne 1982. Il réussit brillamment. Déjà des aspects majeurs de sa personnalité étaient très affirmés : une grande ambition jumelée à un réalisme implacable, un esprit bouillonnant, un goût marqué pour le travail manuel de la matière, un sens aigu de l'observation des choses et des êtres, une profonde curiosité intellectuelle doublée d'une solide intuition physique et une intense envie de relever des défis. À la fin de son baccalauréat, il décrocha la prestigieuse "bourse du centenaire" (aussi appelée "bourse en sciences et en génie 1967") du CRSNG. Après une année supplémentaire passée à l'UQAR comme assistant de recherche sur divers projets, il partit en motocyclette pour l'Oregon, où il allait faire des études doctorales. Il devint l'étudiant du professeur Gene Humphreys à l'Université d'Oregon. Ce dernier s'en rappelle ainsi :

In describing François to others, it is easiest to say that he was a ten in every human characteristic: intellectually brilliant, socially charming, stunningly handsome, and physically impressive - a French Canadian Ideal Greek. François transferred to the University of Oregon to work with me in geophysics. His primary interest was in geodynamics, so he created this program. He chose the modeling of southern California deformation as his first project. I remember him stating this goal on a Tuesday. When I arrived to work the following Monday, I was greeted with "So, what do you think, boss?" He had written his own finite element code (still in use) and had California meshed and modeled, all within a week. I could provide many stories of impressive accomplishments. Suffice it to say that François is, simply, the best student I've ever seen, anywhere. He was at the same time disciplined and freewheeling, academically well prepared and creative, honest and aggressive. But what is most meaningful to me is François the person. I recall a deep and challenging friend who shared observation and inspiration on the nature of the world, the joys of living, the value of French-Canadian culture, and the human need to accomplish things greater than one's self. I recall the "So, what do you think?" grin and the sparkle in his pure blue eyes.

À la fin de ses études doctorales, François Saucier fut courtisé par l'Université Caltech, qui voulait lui offrir un poste de professeur. Mais il déclina cette offre parce qu'il voulait revenir au Québec, pour y faire carrière en océanographie physique. En août 1991 il entra à l'emploi du ministère canadien des Pêches et des Océans (MPO) à titre de chercheur scientifique en océanographie physique à l'Institut Maurice-Lamontagne (IML), situé à Mont-Joli au Québec. Dans un premier temps, il dut s'adapter à son nouveau domaine de recherche mais, fidèle à lui-même, il y mit les bouchées doubles. Il se passionnait autant pour les aspects théoriques que pour les données et le travail de terrain. Tout en contribuant à une importante campagne de mesure à l'embouchure de la Baie d'Hudson, il songeait à ajouter la modélisation aux outils disponibles à l'Institut pour l'étude du milieu marin. Ces efforts aboutirent en 1993 à la création du laboratoire de modélisation numérique à l'IML. C'est là que se dérouleront plusieurs des importants projets menés à terme au cours de la carrière de François Saucier. Un objectif très ambitieux fut fixé très tôt pour ce laboratoire : produire un modèle opérationnel capable de fournir des prévisions quotidiennes de niveaux d'eau, courants et glaces pour le golfe et l'estuaire du Saint-Laurent. La première réalisation importante dans ce contexte fut la production, sous la direction de François Saucier, aidé de collègues et assistants de recherche, de l'Atlas des courants de marée pour l'estuaire du Saint-Laurent, qui couvre du Cap de Bon-Désir à Trois-Rivières. Destiné à remplacer un classique datant de 1937, ce nouvel atlas, qui devint vite bien connu, constitue un guide fiable et grandement apprécié par de très nombreux navigateurs du Saint-Laurent. Cet ouvrage brille par la grande qualité de sa présentation graphique et la clarté de son organisation.

Le modèle numérique du golfe et de l'estuaire a été élaboré en prenant comme point de départ le modèle de Backhaus qui avait été implanté à l'Institute of Ocean Sciences (IOS) à Sidney en Colombie-Britannique. Au fil des ans, un long et patient travail a permis de s'approcher progressivement des objectifs fixés au départ. Ainsi, on y greffa assez tôt un modèle de glaces et un module fut ajouté afin de traiter les flux horizontaux par l'approche "flux-corrected transport". Le forçage atmosphérique continu, basé sur les prévisions du modèle de circulation atmosphérique du Centre Météorologique Canadien (CMC), fut introduit en 2000 et des prévisions quotidiennes pour le golfe ont pu être faites à partir de cette date. Peu de temps après, une importante amélioration fut apportée en incorporant un modèle k-epsilon pour les flux turbulents verticaux. Le traitement adéquat de ces flux demeura une préoccupation continue par la suite. Au cours de toutes ces années, l'océanographie appliquée était un moteur stimulant les recherches scientifiques de François Saucier et chacun des projets opérationnels permettait d'améliorer les performances du simulateur numérique. Le modèle est ainsi devenu un outil permettant de capter la variabilité du Saint-Laurent aux échelles horaire, quotidienne, saisonnière et même inter-annuelle. Le tout culmina en une réussite majeure : en 2003, le modèle était capable de reproduire des cycles saisonniers sur une période de 7 ans, de manière autonome, c'est-à-dire en utilisant uniquement les forçages naturels (atmosphère, apports d'eau douce et conditions aux frontières), sans aucune intervention externe sur l'état du système en cours de route. Cette prouesse était un vieux rêve de François Saucier et il en était très fier, à juste titre. Ses travaux ont contribué à la mise en place des premiers services de prévisions maritimes au Canada. Les prévisions quotidiennes produites par ce modèle sont maintenant disponibles au grand public sur le site internet de l'Observatoire global du Saint-Laurent (OGSL).

Dès son retour au Québec en 1991, François Saucier était fortement intéressé par la question du rôle des eaux douces dans la circulation des eaux nordiques, qu'il savait importante pour le climat à l'échelle globale. Quelques-unes de ses principales contributions ont résulté de son intérêt pour la Baie d'Hudson, le plus grand plan d'eau de la planète à se recouvrir complètement de glace en hiver et à s'en libérer complètement en été. Tel que mentionné plus haut, il participa en 1992-1993 à une ambitieuse campagne de mesures qui fournit pour la première fois des données sur les échanges de chaleur et de sel à l'entrée de la baie, couvrant une année complète. Malheureusement, plusieurs instruments furent perdus lors de cette difficile campagne et, les années suivantes, François Saucier mit de l'avant une approche différente en développant en collaboration un modèle numérique de la Baie d'Hudson. Ce modèle incorpora des interactions étendues entre les composantes atmosphère-glaces-océan et il fut utilisé en 1998 pour examiner des questions depuis longtemps ouvertes, telles que les effets des débits régularisés ou du réchauffement global. Son engagement dans la compréhension de la Baie d'Hudson se poursuivit alors qu'il contribua largement au développement de la campagne de mesures suivante (les missions MERICA). Il poursuivit aussi son effort de modélisation, obtenant en 2004 un modèle très réaliste qui exposa pour la première fois le rôle définitif des marées dans le cycle saisonnier de la chaleur et du sel dans la Baie d'Hudson. Ces efforts fournirent aussi la base de travaux intéressants sur le bassin de Foxe, mettant en évidence l'existence d'un pulse annuel d'eaux profondes denses associées à l'ouverture de polynies dans ce bassin.

Chef depuis 2002 de la Section de modélisation physique à l'IML, François Saucier devint, en 2003, titulaire d'une chaire du MPO, occupée à l'Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER), relevant de l'UQAR. Il donnait ainsi suite à son désir de longue date de se rapprocher des étudiants. En octobre 2004, il devint professeur régulier en océanographie physique à l'ISMER-UQAR. Accueilli avec enthousiasme par ses collègues, il s'intégra facilement à l'équipe, prenant vite à cœur le succès de l'ISMER. Il fut un enseignant passionné et passionnant. Dans ses cours il accordait une grande importance à l'attribution d'un petit projet de recherche à chacun des étudiants, chaque projet étant conduit dans le même esprit que s'il devait mener à une publication. Il tenait à leur communiquer ainsi une partie de son savoir-faire de chercheur. Le contact particulier que son esprit lumineux avait avec la nature se manifestait dans son enseignement comme dans ses recherches et c'était une inspiration pour les étudiants.

François Saucier s'est toujours préoccupé de la santé écologique du grand système du Saint-Laurent, qu'il aimait tant. Dès son arrivée à l'ISMER, il s'est lancé dans l'aventure du couplage physique-biologie à grande échelle, avec un modèle biogéochimique du golfe du St-Laurent, appliqué peu après à la Baie d'Hudson. Le développement de ces modèles de production primaire amena l'équipe de physiciens de François Saucier à ouvrir leur code aux biologistes, une aventure mémorable pour tous. Le résultat constitua les premiers modèles du genre appliqués à ces deux environnements. Ces travaux ont pavé la voie à la modélisation dynamique de la production secondaire, en particulier des copépodes, qui dépendent des processus biogéochimiques pour leur nourriture. D'autres applications novatrices en couplage physique-biologie furent des modèles destinés à comprendre et prédire les efflorescences d'algues toxiques dans l'estuaire et le golfe du Saint-Laurent, et la dynamique des algues de glaces dans la Baie d'Hudson. Le modèle physique couplé glace de mer - océan développé par le professeur François Saucier et son équipe a permis, pour la première fois, de comprendre la dynamique de production des algues de glace à l'échelle du système de la baie d'Hudson. Ce sont sa curiosité insatiable et sa compréhension intime des défis uniques posés par l'interdisciplinarité de l'océanographie qui ont généré les applications de son travail en biogéochimie marine, aussi nombreuses que variées. Certaines continuent de porter fruit à travers les jeunes carrières scientifiques qu'il a su propulser dans l'avenir.

Au printemps 2008, François Saucier reçut le prix du président de la Société canadienne de météorologie et d'océanographie (SCMO). Ce prix lui fut attribué "pour son rôle de premier plan dans deux articles scientifiques qui représentent une avancée majeure dans la modélisation océan-glaces au Canada, ainsi que dans notre connaissance du golfe du Saint-Laurent et de la baie d'Hudson". L'un des articles a paru dans le Journal of Geophysical Research, en 2003, et l'autre dans Climate Dynamics, en 2004.

Par ailleurs, François Saucier a été un pionnier dans l'étude des interactions entre l'atmosphère et nos milieux océaniques côtiers. Des collaborations, initiées à la fin des années 90 avec des spécialistes en science atmosphérique du groupe OURANOS et du Centre Météorologique Canadien, ont mené au développement de modèles couplés atmosphère-glace-océan servant pour la recherche sur le climat et la prévision météorologique dans l'est du Canada. Le premier système opérationnel canadien de prévision météorologique couplée, en cours d'implémentation au CMC, repose sur le modèle océanique du golfe du Saint-Laurent qu'il a développé et supporté tout au long de sa carrière. Pour cette réalisation, ses collègues du CMC et de l'IML ont reçu pour lui le 16 juin 2009 le prix Geoff Howell pour l'innovation d'Environnement Canada.

François Saucier avait une vision du travail d'équipe incomparable, encourageant ses étudiants, assistants et collègues à discuter et à s'entraider tout en forgeant leurs propres opinions. Il tenait à ce que toute publication produite par le laboratoire soit revue par tous ses membres, pour la valider. Il détestait perdre son temps dans la gestion administrative et considérait que les meilleurs juges des recherches avancées étaient les pairs. Tant du point de vue professionnel que personnel, il a toujours été à l'écoute et très soucieux du bien-être de ses employés, de ses assistants et de ses proches collègues qu'il traitait comme les membres de sa famille. Il a su créer un fort sentiment d'appartenance à l'intérieur des équipes qu'il a dirigées aux laboratoires de modélisation de l'IML et de l'ISMER. Il a toujours encouragé le dépassement professionnel en laissant beaucoup d'espace pour la créativité, les débats scientifiques, les apprentissages théoriques avancés et la participation à des missions en mer. Sa profonde implication scientifique ne l'empêcha pas de prendre soin des ses amis, auxquels il accordait une importance primordiale. Il faisait tout intensément, même se reposer, typiquement dans la nature.

À la fin de l'automne 2005, François Saucier apprit qu'il était atteint d'un cancer avancé. Il accueillit cette nouvelle dévastatrice avec l'esprit courageux qui était le sien. Bien déterminé à faire le maximum pour s'en sortir, il consolait ses proches en leur manifestant son calme et sa sérénité. Il n'exprimait pas d'amertume, mais plutôt sa reconnaissance pour les bienfaits que la vie lui avait réservés, tout en conservant l'espoir de poursuivre. Il conserva durant tout ce temps son envie de transmettre ses connaissances, sa passion et son savoir-faire aux étudiants.

À la fin d'une période de près de trois ans de résistance stoïque, la mort emporta prématurément François J. Saucier, le 6 juillet 2008, à l'âge de 47 ans. De façon bien caractéristique, quand il fut forcé d'admettre que le temps lui manquerait, il concentra ses dernières énergies à mettre sur papier sa compréhension et sa vision du Saint-Laurent. Par sa passion contagieuse et sa détermination à faire de la très bonne science, il motiva ses étudiants, assistants et collègues et leur fournit un remarquable exemple de recherche de l'excellence. Il continuera d'inspirer tous ceux qui l'ont côtoyé.

En 2009, en son honneur, la Société canadienne de météorologie et d'océanographie renomma son prix ayant la plus grande ancienneté des prix de la Société dédiés seulement à l'océanographie le Prix François J. Saucier en océanographie appliquée . François avait reçu ce prix en 2002.